L'intention du cerisier

Edito Mars-Avril 2020

L'intention du cerisier

Il y a quelque temps de cela, je naviguais sur internet, comme cela arrive parfois, sans raison réelle, rebondissant d'un mot, d'une phrase, d'une image à l'autre.
Puis, comme souvent, mon regard se concentre, ma pensée se rappelle à ma conscience. Je regarde le nom du site : lalanguefrançaise.com. Je re regarde le titre qui a allumé mon regard : « A l'attention de » ou « à l'intention de » [Astuce]. Je développe pour lire l'article, et sans coup férir, me voilà embarquée dans un voyage aussi long qu'un transpacifique.
Intention et attention sont des paronymes. Des mots aux sens proches, si proches qu'ils prêtent à confusion. Mais, dès lors que l'on questionne l'espace de sens entre eux, on s'ouvre à une palette de sens et au plaisir de celle-ci.

L'article débute ainsi :« J’adresse cette lettre à l’attention de Monsieur le Président. Je l’ai écrite à l’intention de mon mari. »
Faut-il écrire « à l’attention de » ou « à l’intention de » ?
On écrira « à l’attention de » en début d’une lettre, pour adresser cette lettre à quelqu’un : on la porte à son attention. En effet, « attention » vient du latin attentio, signifiant « l’action de tendre l’esprit vers quelque chose ». Plus généralement, l’expression « à l’attention de » est utilisée pour préciser que la démarche qui lui est associée est destinée à quelqu’un. Si vous pouvez remplacer par « à l’adresse de », alors il faut écrire « à l’attention de ».
Exemples : « À l’attention de : Monsieur Dupont » (au début d’une lettre officielle), « J’ai envoyé un chèque à l’attention de l’Etat », « Je vous livre cette lettre à l’attention de votre sœur » (cette lettre destinée à votre sœur).
On écrira « à l’intention de » pour signifier que la démarche est faite en l’honneur de quelqu’un, pour qu’elle lui soit agréable ou profitable... Pour ne pas se tromper, vous pouvez remplacer « à l’intention de » par « à l’honneur de ».
Exemples : « J’ai réalisé cette peinture à l’intention de mon père », « J’ai fait le déplacement à l’intention du mariage de ma sœur », « J’ai acheté un cadeau à l’intention de mon ami »
Qu’allais-je en faire de cette lecture, qu'elle était mon intention ?

Je me suis alors souvenue du livre d'Andréine Bel « Le corps accordé » et particulièrement les pages 158 à 161 autour de l'attention et de l'intention.
Elle parle des qualités de l'attention, de la façon de « tendre son esprit vers quelque chose ».
L'être humain n'existe que par la relation qui s'établit entre lui et les autres. Ainsi, un manque d'attention peut pousser à « l'attirer de toutes les façons imaginables, même au risque d'agacer... ». L'autre versant : une attention « volontaire qui surveille plutôt qu'elle ne veille ou éveille ». Lourde sur les épaules de celui qui la subit, enfant ou adulte, elle est contre-productive, ligote, écrase, censure.
Une attention au fil de ces ravins, « c'est une attention qui n'est pas lourde à recevoir. Elle est spontanée et ne s'impose pas ». Pour Andréine Bel il sera question de « yuki » d'un ki joyeux. « Il y a du ki, du conatus, du pneuma, du hau, du duende (ensemble de termes marqués de leur culture d'origine qui touche à la notion de souffle principe de vivance) au cœur de l'attention spontanée » ... « un je ne sais quoi du geste juste ». « Un tour de main ».

En résumé, l'attention a pour base les « relations humaines ». Un expéditeur et un destinataire. Elle a des qualités qui varient du manque à l'excessif. L'attention juste est un équilibre à l'image du bébé repu, plein, détendu. « Suis-je rassasiée ? », mon besoin a-t-il été rempli, ai-je répondu avec justesse à celui-ci ? Vaste programme.
Mais qu'en est-il de l'intention. Je pressentais que cela avait à voir avec la volonté et c'est de prime abord la définition qu'en donne Andréine Bel p159 : « Acte de volonté par lequel on se fixe un but. Du latin intento ». Mais, c'est sans compter avec Spinoza et « le conatus ». L'intention y a pris deux formes.
Celle volontaire qui résulte d'un partage avec mes consultants, où nous fixons le but de ce que ma pratique pourrait leur apporter. De quoi ont-ils besoin, comment puis-je y répondre. Comment leur être profitable. Nous parlons là d'un cadre dans lequel se déroule la séance. Dès que je commence, je glisse vers cette attention qui se veut légère et qui demande tant de pratique. Être disponible et laisser ce qui doit se faire me traverser. « Put your hands, smile, release » « placer mes mains, sourire, relâcher ». « Être sans intention », voilà l'horizon de mes pratiques, auquel je tends. Et pourtant il y a le « conatus » de Spinoza.

Le « conatus », une intention involontaire inévitable et inconsciente au cœur même des organismes. Il s'agit là de cette « vivance » où tout être cherche à persévérer dans son être. A l'image d'une graine qui trouvera tous les chemins possibles pour devenir jonquille ou séquoia. Qu'elle réussisse ou pas n'est pas de son fait, elle persévère, mais que peut une plantule face au feu, aux ruminants, aux pieds des marcheurs, aux parasites ? C'est cela que j’admire à chaque printemps quand je vois fleurir les amandiers, les cerisiers, tous ces arbres aux fleurs délicates si faciles à tomber mais qui rappellent la puissance de cette intention de vie.

Qu'en est-il de l'homme ? Merleau-Ponty parlera d’un « arc intentionnel qui fait l'unité des sens et de l'intelligence, celle de la sensibilité et de la motricité. C'est lui qui se « détend » dans la maladie ». Il peut se briser. On peut le briser. Mais combien d'arcs se sont redressés, encore et encore, animés juste par elle. Un enfant à l'orée de sa vie, une branche de cerisier vivent sans distance cette intention, tout animés par elle. Puis avec le temps, nous pouvons ne plus la sentir, en douter, par « l'accumulation d'expérience ». Et un jour, on pousse les portes d'une salle où se pratique du Yoga, du Qi Gong, du Wutao, de la danse, on marche avec conscience au milieu d'une forêt, sur une plage… Une pulsation frémit, puis petit à petit se prolonge, devient onde, notre respiration devient plus fluide, notre arc intentionnel se redresse en même temps qu'un sentiment de confiance. Nous répondons à notre intention non volontaire, nous persévérons dans notre vie avec conscience. Le jour où nous posons cet assentiment à ce que nous vivons nous devenons stoïciens.
Mais cela est une autre histoire.
Juste une chose, la prochaine fois que vous regarderez les fleurs au printemps, admirez leur arc intentionnel et n'oubliez pas d'être agréable au vôtre. Beau printemps
PS : pour finir un poème de Mikola Eon collecté lors de cette période de questionnement au distributeur d'histoires courtes des éditions Short Editions.
Lire le poème sur le site de l'éditeur : https://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/c-est-l-intention-qui-conte

C'est l'intention qui conte

La nuit je sors armé du lit
Me faufile jusqu'au dictionnaire
Ouvre son ventre en secret
Et supprime
Tranquillement
Les mots qui m'ennuient
Du livre où est inscrit tout ce qui existe

La nuit les mots me craignent

Le jour à l'école
La vie se complique
Ils font des petits

Mikola Eon

AUTEUR

IdentEditoIngridBoyardIngrid Boyard
Instructrice Wutao® - Maître Reiki

Commentaires (3)

  • Ingrid

    10 mars 2020 à 15:03 |
    Mille mercis Nathalie. A notre week-end "bois".
    Amitiés
    Ingrid

    Répondre

  • Nathalie Richaud

    01 mars 2020 à 20:31 |
    Bonsoir Ingrid !
    Quel plaisir ai je eu de lire cette belle dissertation sur "intention" et " attention" !
    Je te souhaite un bon mois de mars et te dis à bientôt ! Notre weekend "Bois" . Bises
    Nathalie

    Répondre

    • Boyard

      01 juin 2020 à 18:24 |
      Merci Nathalie. Depuis ce message, nous avons depuis traversé un temps long de turbulences. J'espère que ton intention s'est nourrie et reste toute triomphante et que nous pourrons pratiquer ensemble à la fin de ce mois.

      Répondre

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